Calcul du volume de l'hypersphère dans Rn
ou pourquoi les banquiers n'ont jamais de lingots sphériques
(André Brouty janvier 1996)
Cet exposé est sous licence libre
LLDD.
définition
Dans
Rn on définit les deux ensembles suivants pour un réel
r positif:
Brn = {x1,⋯,xn | x12+ ⋯ +xn2 ≤ r2}
Srn−1 = {x1,⋯,xn | x12+ ⋯ +xn2 = r2}
Le premier est appelé la
boule de rayon
r et le second la
sphère de rayon
r. Nous nous intéresserons à la mesure du volume du
premier, le second s'en déduisant par dérivée. Une sphère en dimension
supérieure à trois s'appelle parfois une
hypersphère; ici nous
continuerons de l'appeller
sphère.
La méthode classique de calcul
Cette méthode consiste à partir de la définition classique du volume
d'un ensemble
B vérifiant les bonnes propriétés
Vol( B) = ∫∫⋯ ∫∫Bn dx1dx2 ⋯ dxn
de calculer la valeur de cette intégrale par un changement de variable
approprié. Dans le cas de la
boule on utilise le passage en coordonnées
sphériques (
hypersphériques) qui transforme la boule en un
parallélépipède (
hyperparallélépipède) sur lequel l'intégration se
fait aisément par séparation des variables.
0.1 Cas n=0
Ce cas est singulier car l'espace est alors réduit à un point et on peut
dire que le volume est 0. Cette valeur ne peut être que conventionnelle car
il n'existe pas de géométrie à un point (il en faut au moins 3) et encore
moins de théorie de l'intégration.
Cas n=1
Ce cas est facile la boule de rayon r étant réduite au segment [-r,+r]
sa mesure est la longeur du segment: 2r
Cas n=2
C'est le cas du plan. Le changement de variable est fait par les classiques
coordonnées polaires dans le domaine [0,+
r]× [0,2π ] qui réalise une bijection
avec la boule de rayon r, avec le déterminant fonctionnel associé:
| | sinθ1 |
lcosθ1 | | |
Δ2 = | |
|
| | = −lsin2θ1 − lcos2θ1 = −l |
| | cosθ1 |
−lsinθ1 | | |
et la valeur de l'aire est:
∫∫ |
|
dx1dx2 = |
∫ |
|
|
∫ |
|
∣ −l∣ dldθ1 = |
∫ |
|
ldl × |
∫ |
|
dθ1 = πr2 |
Cas n=3
c'est le cas de l'espace. Le changement de variable est fait par les classiques
coordonnées sphériques dans le domaine [0,+
r]× [0,π]× [0,2π ]
qui réalise une bijection avec la boule de rayon r, avec le déterminant fonctionnel associé:
x1=lsinθ1sinθ2 |
x2=lsinθ1cosθ2 |
x3=lcosθ1 |
| |
sinθ1sinθ2 |
lcosθ1sinθ2 |
lsinθ1cosθ2 |
| |
Δ3 = | |
sinθ1cosθ2 |
lcosθ1cosθ2 |
−lsinθ1sinθ2 |
| |
| |
cosθ1 |
−lsinθ1 |
0 |
| |
Nous allons calculer le déterminant fonctionnel en le développant par rapport à la dernière
colonne, nous obtenons:
| |
sinθ1cosθ2 |
lcosθ1cosθ2 |
| |
|sinθ1sinθ2 |
lcosθ1sinθ2 |
| |
lsinθ1cosθ2| |
|
|
| + lsinθ1sinθ2 |
| |
|
| |
| |
cosθ1 |
−lsinθ1 |
| |
|cosθ1 |
−lsinθ1 |
| |
Dans le premier déterminant mettons
cosθ
2 en facteur (première ligne) et
sinθ
2
dans le second. Nous obtenons:
| |
sinθ1 |
lcosθ1 |
| |
|sinθ1 |
lcosθ1 |
| |
Δ3 = lsinθ1cos2θ2| |
|
|
| + lsinθ1sin2θ2 |
| |
|
| |
| |
cosθ1 |
−lsinθ1 |
| |
|cosθ1 |
−lsinθ1 |
| |
Δ3 = lsinθ1cos2θ2 Δ2 + lsinθ1sin2θ2Δ2
Δ3 = Δ2lsinθ1(cos2θ2 + sin2θ2) = −l2sinθ1
et la valeur de l'aire est:
∫∫∫ |
|
dx1dx2dx3 = |
∫ |
|
|
∫ |
|
|
∫ |
|
∣ −l2sinθ1∣ dldθ1dθ2 = |
∫ |
|
l2dl ×
|
∫ |
|
sinθ1dθ1 × |
∫ |
|
dθ2 = |
|
Cas n quelconque
C'est le cas général qui nous intéresse. Nous allons procéder par
récurrence en généralisant la méthode ci-dessus et considérer
les coordonnées
hypersphérique d'un point dans un espace
à
n dimensions. Si nous passons de la dimension
n − 1 à la dimension
n
nous rajoutons un axe de coordonnées supplémentaire
xn qui sera
orthogonal aux
n−1 axes du sous espace à
n−1 dimensions. Le vecteur
OM d'un point
M de cet espace fait avec l'axe
xn un angle
θ
1 et la projection de
M sur cet axe est
lcosθ
1, les autres
angles étant inchangés dans le sous-espace. Nous obtenons donc les
coodonnées
hypersphériques qui constituent une bijection continue
de la
boule de rayon
R dans l'
hyperparallélépipède
[0,
R]× [0,π] × ⋯ × [0,π] × [0,2π]
x1=lsinθ1sinθ2sinθ3 ⋯ sinθn−3sinθn−2sinθn−1 |
x2=lsinθ1sinθ2sinθ3 ⋯ sinθn−3sinθn−2cosθn−1 |
x3=lsinθ1sinθ2sinθ3 ⋯ sinθn−3cosθn−2 |
x4=lsinθ1sinθ2sinθ3 ⋯ cosθn−3 |
⋮ |
xi=lsinθ1sinθ2sinθ3 ⋯ cosθn−i+1 |
⋮ |
xn=lcosθ1 |
1 < i ≤ n
Nous pouvons donc visualiser le déterminant fonctionnel associé: Δ
n avec
j <
i <
n − 3
| | sinθ1⋯ sinθn−1 |
⋯ |
lsinθ1⋯ cosθj⋯ sinθn−1 |
⋯ |
⋯ |
lsinθ1⋯ sinθn−1 |
lsinθ1⋯ cosθn−1 |
| |
| | sinθ1⋯ cosθn−1 |
⋯ |
lsinθ1⋯ cosθj⋯ cosθn−1 |
⋯ |
⋯ |
lsinθ1⋯ cosθn−1 |
−lsinθ1⋯ sinθn−1 |
| |
| | sinθ1⋯ cosθn−2 |
⋯ |
lsinθ1⋯ cosθj⋯ cosθn−2 |
⋯ |
|
−lsinθ1⋯ cosθn−2 |
0 |
| |
| | sinθ1⋯ cosθn−3 |
⋯ |
lsinθ1⋯ cosθj⋯ cosθn−3 |
⋯ |
−lsinθ1⋯ sinθn−3 |
0 |
0 |
| |
| | ⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
| |
| | sinθ1⋯ cosθn−1 |
⋯ |
lsinθ1⋯ cosθj⋯ sinθn−i+1 |
⋯ |
−lsinθ1⋯ sinθn−i+1 |
0 |
0 |
| |
| | ⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
⋮ |
| |
| | cosθ1 |
−lsinθ1 |
0 |
⋯ |
0 |
0 |
0 |
| |
De même nous développons ce déterminant par rapport à la dernière colonne et
nous mettons en facteur
sinθ
n−1 dans le premier déterminant et
cosθ
n−1 dans le second et nous obtenons la formule de récurrence:
Δn = (−1)n+1Δn−1lsinθ1sinθ2⋯ sinθn−2cos2θn−1 − (−1)n+2Δn−1lsinθ1sinθ2⋯ sinθn−2sin2θn−1
Δn = (−1)n+1Δn−1lsinθ1sinθ2⋯ sinθn−2
En développant nous trouvons la formule du déterminant fonctionnel:
Δn = (−1) |
|
ln−1 |
|
(sinθi)n−i−1 = (−1) |
|
ln−1 |
|
(sinθn−i−1)i |
Ce qui nous donne comme formule de l'hypervolume:
∫∫ |
⋯ |
∫∫ |
|
dx1dx2⋯ dxn = |
∫ |
|
∫ |
|
⋯ |
∫ |
|
∫ |
|
∣(−1) |
|
ln−1 |
|
(sinθn−i−1)i∣
dldθ1⋯ dθn−1 |
Soit
∫ |
|
ln−1× |
|
∫ |
|
(sinθn−i−1)idθn−i−1 × |
∫ |
|
dθn−1 |
La difficulté maintenant est le calcul de Π
i=1n−2∫
0π(
sinθ
n−i−1)
idθ
n−i−1,
que nous pouvons écrire Π
i=1n−2∫
0π(
sinθ)
idθ puisque dans l'intégrale
les variables θ
i sont liées (ou muettes).
Un calculateur expérimenté reconnait là les intrégrales de Wallis:
Ces intégrales vérifient la relation:
InIn+1 = π/2(
n+1)
Les intégrales que nous devons calculer sont définies sur un intervalle double des intégrales
de Wallis, mais comme (
sinθ)
n est symétrique par rapport à la droite
x = π/2
la valeur de nos intégrales est double de celles de Wallis.
Notons
Jn = ∫
0π(
sinθ)
ndθ = 2
In nous avons alors la relation
JnJn+1 = 2π/
n+1 que nous utiliserons pour les calculs.
Nous distinguerons 2 cas:
cas ou n est pair: n=2p
Dans ce cas on peut écrire:
|
∫ |
|
(sinθ)idθ = |
|
[ |
∫ |
|
(sinθ)2i−1dθ |
∫ |
|
(sinθ)2idθ] |
|
[ |
∫ |
|
(sinθ)2i−1dθ |
∫ |
|
(sinθ)2idθ] = |
|
|
|
= |
|
|
|
cas ou n est impair: n=2p+1
Dans ce cas on peut écrire:
|
∫ |
|
(sinθ)idθ = |
∫ |
|
(sinθ)dθ |
|
∫ |
|
(sinθ)idθ |
∫ |
|
(sinθ)dθ |
|
∫ |
|
(sinθ)idθ = 2 |
|
[ |
∫ |
|
(sinθ)2idθ |
∫ |
|
(sinθ)2i+1dθ] |
2 |
|
[ |
∫ |
|
(sinθ)2idθ |
∫ |
|
(sinθ)2i+1dθ] = 2 |
|
|
= |
|
Il ne reste plus qu'à multiplier ces résultats par ∫
0rln−1dl× ∫
02πdθ
n−1 = 2
rnπ/
n
pour obtenir la mesure du volume de la boule de rayon
r en dimension
n
Vol(Br2p) = r2pπp/p! |
|
Vol(Br2p+1) = r2p+12p+1πp/1.3.5....(2p+1) |
La mesure de la surface de l'hypershère s'obtient en dérivant la fonction volume
par rapport au rayon. Cette propriété résulte de la formule de Stokes.
On obtient:
Vol(Sr2p) = d/dr(Vol(Br2p+1)) = r2p2p+1πp/1.3.5....(2p−1) |
|
Vol(Sr2p+1) = d/dr(Vol(Br2(p+1))) = 2r2p+1πp+1/p! |
Applications
Vol(Br4) = π2r4/2 |
Vol(Sr3) = 2π2r3 |
|
Vol(Br5) = 8π2r5/15 |
Vol(Sr4) = 8π2r4/3 |
|
Vol(Br6) = π3r6/6 |
Vol(Sr5) = π3r5 |
|
Vol(Br7) = 16π3r7/105 |
Vol(Sr6) = 16π3r6/15 |
|
Vol(Br8) = π4r8/24 |
Vol(Sr7) = π4r7/3 |
On trouvera dans [BEG] une méthode moins classique est plus générale pour calculer
les volumes des variétés différentielles euclidiennes dont la boule est un cas particulier.
Curiosités du calcul
Ces résultats conduisent à une petite incursion dans les espaces de dimensions supérieures
à trois où l'on peut y faire d'étranges découvertes. En particulier on remarque que pour un
rayon
r donné ce volume tend vers zéro quand
n tend vers l'infini. Une boule a un tout
petit volume dans de grandes dimensions (mauvais pour les joueurs de pétanque).
Mais il y a mieux! Si ce volume décroit vers zéro, c'est qu'il passe par un maximum pour une
dimension particulière. Prenons pour simplifier une boule de rayon 1 et examinons son volume
suivant les dimensions.
DIMENSIONS |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
10 |
11 |
12 |
VOLUME |
2 |
3.141 |
4.188 |
4.934 |
5.263 |
5.167 |
4.724 |
4.058 |
3.298 |
2.550 |
1.884 |
1.335 |
Dans le cas de la boule unité on constate que ce maximum a lieu pour n = 5.
Naturellement cela dépend du rayon de la boule choisi, par exemple pour
un rayon de valeur 2, le volume maximal est obtenu pour la dimension 24
(32372.885) alors qu'en dimension 3 il vaut 33.510 et en dimension 60: 3.57.
On laisse au lecteur le soin de calculer dans quel espace devrait vivre un
banquier qui conserve des lingots d'or sphériques de 10 centimètres de
diamètre pour être le plus riche.
Mais il y a mieux encore! Considérons maintenant la boule unité
inscrite dans un hypercube de coté 2, c'est-à-dire que cette boule est
tangente aux 2
n hyperfaces de l'hypercube. Le volume de l'hypercube est facile
à calculer, c'est 2
n. Quand le nombre de dimensions
n tend vers
l'infini, le volume de l'hypercube croit indéfiniment tandis que celui
de la boule tend vers zéro tout en restant tangente aux hyperfaces.
Le volume de la boule est négligeable devant le volume de l'hypercube
circonscrit, et cela quel que soit le coté de l'hypercube même si ce
dernier a un coté plus petit que 1 et donc que son volume tend vers zéro
quand la dimension croit, car le rapport des volumes de l'hypercube et de
la boule tend vers l'infini quand la dimension de l'espace qui les
abrite tend vers l'infini. Il vaut toujours mieux être un cube qu'une
sphère quel que soit l'espace.
Ceci explique pourquoi les banquiers de la question précédente n'ont jamais
de lingots sphériques.
Et aussi pourquoi dans les espaces à beaucoup de dimensions les marchands d'oranges occupent
beaucoup de place pour empiler peu d'oranges.
Bibliographie
[BERG] Berger et Gostiaux, "Géométrie différentielle", Armand Colin,
Collection U
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HEVEA.